Méthode Miyawaki : quelles données en France ?

Entretien avec Florent Xavier Gadea, directeur de recherche au CNRS

La mini-forêt de Montreuil au printemps 2023, plantée par Boomforest en 2018

La méthode Miyawaki fait de plus en plus parler d’elle depuis qu’elle a fait son entrée en France, à l’initiative d’associations et de collectifs curieux. Les avantages qu’elle vise, une forte croissance, une densité importante, et une autonomie des arbres, couplés avec l’originalité de son principe, soulèvent parfois des questionnements de la part du public, d’autant plus que certains groupes, souvent des entreprises, n’hésitent pas à mettre en avant des chiffres hyperboliques quant à la croissance et l’efficacité espérée. Ainsi, le public, comme les médias et le monde scientifique cherchent des preuves qui pourraient étayer ou non son efficacité en France. 

Au Japon, la méthode a fait son chemin et son succès n’est pas remis en question : on dénombre actuellement 40 millions d’arbres plantés sur quelques 1700 sites par les équipes d’Akira Miyawaki et les collectifs qui ont rejoint l’initiative de retour d’une nature indigène dans leur pays. (source: Let’s create indigenous forests continuing for millenia ! From Japan to the world, édité par Association for promoting creation of indigenous forests by Miyawaki method)

En France, qu’en est-il ? Force est de constater qu’à l’heure actuelle, les données se font rares, très rares : les collectifs engagés dans les plantations ne sont pas issus du monde universitaire et se sont concentrés sur l’action, sans pouvoir effectuer de suivi méthodique jusqu’ici. Alors on élargit la recherche à l’Europe. 

Une étude existe, qui a beaucoup retenu l’attention des médias, car elle cite des chiffres : un article publié en 2011 par Schirone et al. intitulé « The effectiveness of the Miyawaki method » (disponible ici en anglais) : elle porte sur une expérimentation réalisée en Sardaigne visant à comparer l’efficacité de la méthode Miyawaki avec les méthodes de reforestation traditionnelles. Cette étude conclut à un taux de mortalité des arbres plantés de 61% à 84% après 11 ans : aux chiffres de croissance, les médias opposent ces chiffres beaucoup moins optimistes. Pourtant, l’étude conclut que la méthode Miyawaki est plus efficace que les méthode traditionnelles, qui elles ont échoué. Plus: elle montre qu’après 11 ans, la biodiversité mesurée dans la forêt plantée selon la méthode Miyawaki est très élevée comparée aux résultats obtenus avec les méthodes de reforestation traditionnelles. De plus, la communauté végétale a été capable d’évoluer sans nécessiter d’efforts d’entretien particuliers après la plantation.

“Les résultats ont montré un développement plus rapide des arbres sur les parcelles de Miyawaki, en particulier, les espèces de début de succession. Les avantages par rapport aux méthodes précédentes sont remarquables et comparables à ceux obtenus par Miyawaki en Asie et en Amérique du Sud.”

The effectiveness of the Miyawaki method in International Consortium of Landscape and Ecological Engineering and Springer 2010 ,Bartolomeo Schirone, Antonello Salis , Federico Vessella

L’étude souligne donc l’efficacité de la méthode, et non l’inverse. Pourtant, une approche critique de cette étude reste pertinente : ces résultats proviennent d’une expérimentation réalisée en milieu méditerranéen, caractérisé par des étés arides et un sol très dégradé. Est-ce pertinent de s’en servir comme point de référence pour la France ? Que peut-on attendre de la méthode Miyawaki appliquée dans le climat tempérée de la France métropolitaine ?

Pour tenter de répondre à cette question, une expérimentation est actuellement en cours à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Ce projet de recherche a été initié par Florent Xavier Gadea, directeur de recherche au CNRS, et devrait produire des données sur une expérimentation en France. 


Florent Xavier Gadea a accepté de répondre à quelques questions que nous avions hâte de lui poser chez Boomforest :

le collectif Micro-forêt Toulouse

Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

Tout d’abord, je précise que je ne suis pas spécialiste en botanique ou en biologie. Je suis chercheur en chimie quantique et physique moléculaire. Mais il se trouve que j’étais également responsable du jardin agro-écologique de l’université [Paul Sabatier, à Toulouse, ndlr] entre 2018 et 2021.

Dans ce cadre, nous avons accueilli une volontaire en service civique en 2020 : Eugénie Lacombe. Puis le confinement est arrivé. Chacun devant rester chez soi, avec Eugénie nous avons cherché quoi faire qui ait un lien avec le jardin agro-écologique. Deux sujets intéressants ont été évoqués : une forêt comestible et une micro-forêt Miyawaki. Ayant déjà un verger, nous avons opté pour la micro-forêt et monté un projet pour candidater et obtenir des subventions.

Dans un premier temps, nous avons obtenu 2000 euros en tant que lauréat d’un concours de l’UFTMiP (devenue Université Toulouse), puis, grâce à l’aide du collectif Micro-forêt Toulouse, nous avons obtenu un nouveau financement de presque 12 000 euros qui nous a permis de planter 1000 mètres carrés de micro-forêt, au lieu de 100 prévus initialement.

Ensuite, comme nous n’avions aucune expérience dans l’application de la méthode Miyawaki, nous avons consulté le guide de formation pour apprendre à planter une micro-forêt Miyawaki (réalisé par le collectif Micro-Forêt Toulouse) et commencé le projet sur le campus de l’université.

Nous avons également reçu l’appui de Nicolas de Brabandère et de l’entreprise Urban Forest. Il nous a notamment aidé à déterminer la végétation naturelle potentielle de notre région et donc la liste d’essences que nous avons plantées. D’ailleurs, Nicolas était à Toulouse il y a six mois, il a visité la forêt et selon lui, elle se porte très bien !

Plantation de la mini-forêt de Villiers-sur-Orge à l’automne 2022

Comment avez-vous mis en place le suivi scientifique de cette micro-forêt ?

Comme nous étions dans une université je me suis dit qu’il pourrait y avoir un suivi scientifique sur ce projet. Or, il se trouve que je connais personnellement Christophe Andalo, qui est maître de conférence et travaille au labo Evolution et Diversité Biologique. J’ai été le voir avec les autres écologistes du labo pour leur expliquer que nous allions planter la micro-forêt et leur proposer de mettre en place un suivi scientifique de cette dernière.

Nous avons alors fait une réunion et là, j’ai été étonné par la levée de bouclier des écologistes vis-à-vis de la méthode Miyawaki. Ils ont notamment évoqué la communication problématique que l’on peut retrouver parfois autour de celle-ci, mettant en avant des chiffres spectaculaires, comme quoi la micro-forêt Miyawaki pousserait 10 fois plus rapidement, serait 30 fois plus denses et abriterait 100 fois plus de vie qu’une autre, mais sans aucun référentiel. Ils ne connaissaient pas les travaux de Miyawaki mais ont pu voir qu’il existait peu d’études sur le sujet en Europe et se sont montrés très méfiants au début.

Toutefois, après s’être penché en détail sur la méthode en elle-même, ils ont trouvé le concept intéressant car, au delà de la communication qui est parfois faite autour de ses travaux, Miyawaki était avant tout un botaniste, ce qui leur a parlé.

Ils ont donc fini par accepter de mettre en place un suivi scientifique, mais seulement sous trois conditions :

  • que l’on réalise au minimum 4 bloc distincts de mini-forêt ;
  • Que ces blocs plantés soient dans des conditions similaires, mais pas identiques ;
  • Que l’on garde à côté de chaque bloc une zone naturelle témoin qui servira de référence pour toutes les études qui suivraient.

Ainsi il sera possible de mesurer l’évolution de la biodiversité, le stockage du carbone, l’effet sur le micro-climat, la composition du sol… mais toujours en comparant aux zones naturelles témoins.

Ces zones étaient des espaces enherbés à l’origine. Nous avons juste clôturé ces parcelles mais nous n’avons rien fait d’autre, pas d’amendement, pas de plantation ni d’entretien.

Ainsi lorsque des relevés sont effectués sur les parcelles, comme par exemple pour mesurer l’entomofaune à l’aide de pièges, nous effectuons exactement les mêmes mesures sur les micro-forêts et sur les zones naturelles témoin.

Et après 2 ans et demie d’existence de cette forêt, avez-vous déjà obtenu des résultats ?

Pour le moment, la seule mesure sur laquelle l’équipe du suivi scientifique a été en mesure de communiquer concerne le taux de mortalité effective des arbres.

3 mois après la plantation, un premier relevé des arbres et arbustes vivants a été effectué. Puis des mesures similaires ont été réalisées régulièrement pour comparer ces résultats au chiffre initial, relevé 3 mois après la plantation. 

Aujourd’hui ce taux de mortalité effective est d’environ 13%. 

Sachant que l’on a pu arroser que deux fois la première année puis plus du tout, pour diverses raisons. On a eu notamment une importante sécheresse mais les arbres ont survécu, notamment grâce au paillage préconisé par la méthode Miyawaki. Au final, le taux de mortalité n’est pas monstrueux.

Concernant les autres résultats des relevés, pour le moment nous n’avons la possibilité de communiquer dessus. En effet les relevés sont majoritairement effectués par des étudiants stagiaires, qui produisent un grand nombre de rapports que l’équipe scientifique n’a pas encore eu le temps de compiler.

Idem pour les carottages : des échantillons de sol ont été prélevés avant la plantation puis chaque année après pour évaluer l’évolution de la composition du sol. Mais analyser ces carottages coûte cher et pour le moment, ils sont stockés à l’université en attendant.

Ce que l’on peut dire sur l’état actuel de la micro-forêt, ce qui est observable, ce que les différents blocs plantés ne sont pas homogènes. Les blocs 1 et 2 poussent beaucoup mieux que les blocs 3 et 4, par exemple.

Pourquoi cette différence ? Les parcelles ont elles été préparées ou plantées différemment ?

On ne sait pas dire exactement pourquoi. 

Chaque bloc a pourtant été préparé de façon identique, avec la même quantité d’amendement. Ensuite pour la plantation, nous avons planté 23 espèces différentes et avons fonctionné par zones de 100 mètres carrés. C’est-à-dire que nous avons trié les végétaux selon les recommandations de la méthode et les avons regroupés en paquets de 300 afin de pouvoir recouvrir une surface de 100 mètres carrés avec chaque paquet. 

Ainsi, tous les blocs ont étés plantés de la même façon, avec les mêmes espèces dans les memes proportions.

En revanche, si tous les blocs sont situés près du canal, ils n’en sont pas éloignés de la même façon. Autour du canal, il y a de très grands arbres, peut être que ça joue sur la croissance des arbres, au même titre que les bâtiments, l’ombre, l’orientation, le vent. 

Par exemple sur le bloc 1, les arbres font en moyenne 2 mètres, certains montent jusqu’à 3 ou 4 mètres. Au bloc 3 et 4, on mesure 1 mètre de moins en moyenne.

Les bénévoles riverains et les éco-volontaires d’UnisCité à Villiers-sur-Orge

Vous avez mentionné que cette plantation a été réalisée par des volontaires. Cette dimension participative du projet était-elle importante ?

C’était un élément très important pour le Collectif micro-forêt qui a financé ce projet. Planter, c’est une chose, mais la communication et la sensibilisation autour sont une composante importante de ce projet.

De plus, nous avons mis en place des panneaux de communication sur le site que j’ai voulu très détaillés afin d’expliquer le projet. Nous avons obtenu un financement spécifique du FeRMI (Fédération de Recherche Matière et Interactions) pour cela.

Concernant la plantation en elle-même, elle s’est déroulée sur 3 jours. La difficulté particulière était que nous étions alors en plein COVID. Mais j’ai pu faire demander de l’aide au personnel de l’université, aux étudiants en post doc, aux personnes dans les labos… au final, nous avons eu beaucoup de monde, 10 à 20 participants par demi-journée soit près de 130 personnes en tout. Nous avons pu tout planter sans difficulté.

Quand les résultats des mesures seront publiés, pensez-vous qu’ils soient transposables ailleurs en France ?

Je pense que oui, après il faut regarder les conditions spécifiques de chaque projet. Pour le nôtre, nous avons par exemple choisi de planter d’abord les arbres de haut jet, le plus distant possible les uns des autres, car nous estimions que cela maximiserait leurs chances de survie.

De plus, nous avons peut être exagéré un peu les quantités d’amendement. On nous a livré 80 mètres cubes de fumier au lieu de 60 commandés, et nous avons décidé de quand même tout étaler, donc la quantité totale que nous avons mise était peut-etre un peu excessive.

Le terrain sur lequel nous avons planté aussi est particulier. Il s’agissait d’une pelouse très tassée, avec de la terre de remblais issue de la construction de l’université, donc un sol pauvre. Mais nous sommes aussi situés près du canal avec une nappe phréatique qui va aider les arbres a bien pousser.

Vous avez parlé des réticences de vos collègues écologistes vis à vis de la méthode Miyawaki. A votre avis, ces réticences sont elles justifiées ?

Je pense que les réticences ne sont pas vraiment justifiées. Moi ce que je vois, c’est que ce sont des réticences d’écologistes purs et durs qui valent surtout contre la communication qui est faite autour de la méthode avec des chiffres non vérifiés. Ils trouvent la méthode intéressante et prometteuse mais, c’est juste un problème de communication.

J’observe que la plupart des gens qui sont venus participer et qui continuent de s’intéresser à la forêt, à venir la visiter, sont plutôt très enthousiastes !

D’ailleurs une des motivations pour mes collègues écologistes a été de pouvoir utiliser la micro-forêt comme outil pédagogique pour les étudiants, par exemple pour mettre en place des mesures et suivis. Ce sont avant tout des enseignants, des maîtres de conférence, donc pouvoir utiliser cette micro-forêt dans le cadre de la formation des étudiant est très important pour eux.

Ils ont d’ailleurs été très surpris de l’engouement autour des micro-forêts de la part de ces mêmes étudiants qui font des demandes de stages en permanence pour aller mesurer l’entomofaune du sol, observer, relever les pièges etc.

En ce qui me concerne, je considère qu’une fois qu’on plante, il faut faire de la communication et de la pédagogie autour du projet, ça fait partie de l’intérêt de la chose. J’espère qu’il va y avoir d’ici quelques temps des résultats compilés sur les relevés effectués dans la micro-forêt à propos de la mortalité, de l’entomofaune, de la croissance, et que l’on puisse communiquer sur ces résultats. 

Car l’idée à l’origine a toujours été que ce soit très ouvert et que l’on puisse partager ces résultats avec tout le monde. Mais pour le moment, c’est simplement un problème de temps pour pouvoir produire ces résultats.

Propos recueillis par Boomforest le 20 octobre 2023.

Reportage Actu-environnement sur la plantation de l’université :

Conférence de Florent Xavier Gadea et Christophe Andalo à propos du projet de micro-forêt Miyawaki de l’université Paul Sabatier :

Laisser un commentaire